Description
DEUX BELLES LETTRES D’AMOUR INÉDITES du peintre symboliste Carlos Schwabe à la future Mme Paul Reboux.
Léonne (ou Léona, ou Léone) Georges, peintre de miniatures, collabora avec l'orfèvre joaillier Robert Linzeler et conçut des décors d'éventails publicitaires. Ainsi, dans une première lettre, Schwabe lui dispense quelques conseils quant aux proportions de ses figures :
Ô dites, ma charmante et vaillante artiste dont j’aurais tant tant aimé emporter une petite, toute petite expression d’art ; voulez-vous me permettre un conseil et cela non point parce que je vois comme cela, mais parce que logiquement dans la beauté ce doit être ainsi pour donner plus de longueur au corps humain, ce qui donne toujours plus de beauté à la ligne d’ensemble.
Je vous en prie (et pardonnez cette remarque que ne provient que de mon ardent désir de vous voir faire très beau) donnez un peu moins de longueur à vos figures ( de telle) sorte qu’il y ait plus de souplesse dans ligne extérieure, entre le col et la tête et ainsi vos corps seront plus élancés et forcément plus souples.
Il ajoute regretter n'avoir pas toujours après de lui un autoportrait ressemblant de son "inoubliable Léonne" :
Ah, j’avoue mon adorable Léonne que [si ce portrait] avait été un peu de ce que je vois en vous et qui est si ravissant, qui a tant de charme, je vous aurais prié en vous baisant les mains, de me le donner pour qu'il soit là, toujours près de moi, et à ce sujet, permettez moi aussi (et il faut beaucoup me permettre puisque je vous aime tant) de vous prier de ne point changer la coiffure que vous aviez lundi dernier car elle ajoute, elle complète l’ineffable de votre visage.
Et enfin il l'enjoint prie de passer plus de temps avec lui :
Et pourquoi, dites, ne puis-je vous voir que si rarement. Je sais bien que vous avez à travailler et moi bien d’avantage ; mais le soir venu, je serais si heureux, si profondément heureux de vous voir quelques instants et d’emporter dans mon coeur, un peu de tout ce qui est vous, comme une fleur.
Dans une seconde lettre, Schwabe déploie toutes ses sensibilités romantiques pour faire à Léonne le récit de son amour. Déçu par une autre femme, le peintre aurait finalement trouvé l'idéal en la personne de Léonne :
J’avais cru voir en son visage, qu’elle avait une jolie âme je n’ai trouvé que petitesse et médiocrité et par deçu [sic] tout, l’atroce jalousie de me savoir plus haut qu’elle et ce n’est que par manque de moyens que je n’ai pu faire deux maisons. Elle n’a comme vertu que celle du peuple.
J’aurais certes pu souvent, n’étant pas marié, me donner à des unions fortunées mais j’ai préféré rester dans la douleur et attendre la réalisation de mon grand et lumineux rêve qui s’est affirmé à l’heure où je vous vis pour la première fois. Depuis cette heure, Léonne, toute ma pensée, tout ce qui est moi, n’a pu vivre et agir que dans la contemplation de tout ce qui est vous et vous ai dès cet instant, adoré comme le Dante aima Béatrice.
Léonne étant pauvre et ne trouvant pas de travail, Schwabe aurait tout mis en oeuvre pour lui venir en aide :
quand vous avez eu besoin de gagner votre vie, ne pouvant rien par moi même, j’ai couru les ateliers de dessinateurs pour broderies, damassés, étoffes et papiers peints, dans la rue du Sentier, pour vous trouver des travaux et pour cela j’ai présenté de mes dessins de fleurs et d’ornementation, mais ignorant la technique du métier, à chaque porte je reçus des fins de non recevoir.
Enfin, ne pouvant rien trouver, en une nuit, je pris la résolution de faire le large geste que vous savez. En cette nuit, oh ma Léonne, j’ai reçu les heures les plus cruelles , les plus inoubliables de mon existence; rien n’est comparable à une telle douleur!
Si l'on ignore la nature du "geste" en question, on peut supposer qu'il eut pour conséquence d'éloigner Léonne de Schwabe. Il plongea dans un profond désespoir ("depuis ce jour, ma vie n’a été qu’un fleuve de douleurs et quoique ayant apporté toute mon âpre énergie à comprimer la blessure, d’où goutte à goutte, en de longues larmes le sang coulait, jour par jour je descendis plus avant dans la vallée des larmes") -- rien ne pouvait le consoler :
quoique la destinée m’envoya la Comtesse [probablement Martine de Béarn, sa mécène de 1897 à 1899], et quoique par la suite elle m’incita à monter l’escalier du Paradis, je ne pus profiter de cette chance qui me devait conduire à la gloire par la libre production, car toujours entre elle et moi, se dressait votre adorable souvenir et c’est cela, bien plus que l’affaire, qui n’a été qu’un prétexte, qui me fit rompre.
Schwabe soutient ainsi que, voyageant avec des amis dans les hautes montagnes du Dauphiné, il attenta plusieurs fois à sa vie :
Au lac d’argent, sur les grandes roches, voyant une grande pente glissante, humectée par un ancien torrent et où les morceaux de rochers tenaient à peine en équilibre, frénétiquement je me hissai dessus et fis le mouvement de bascule pour la déplacer et glisser.
Un grand cri, Michonis, Dominique et les dix guides, accouraient en gesticulant, la pierre glissait joyeuse sur la pente fatale mais hélas arrivée à quelques pas du lac glacé, elle fit un sursaut provoqué par d’autres petites pierres, me fit perdre l’équilibre, et pendant qu’elle disparaissait dans l’oubli, moi, je gisais au milieu de mes amis, avec seulement une cheville abimée.
Dès lors, Michonis ne me laissa jamais seul, il avait deviné, et dans tout passage difficile me fit attacher au guide mais, quoique cela, je tentai encore la destinée en mettant une abeille dans l’oreille de la mule que je montais.
La bête affolée prit un galop d’enfer sur le petit tertre où nous étions, maintes fois elle en frisait les bords, que la moitié de nos deux corps étaient penchée sur l’abîme, mais toujours de son vigilant sabot elle reprenait pied et finalement,
les autres nous pourchassant, nous fumes arrêtés dans cette course à la mort.Une autre fois encore, traversant sur les rochers un torrent, je fis par un mouvement brusque glisser ma bête sur la pierre lisse et ce n’est que Dominique et sa mule, qui cheminaient à côté de moi, qui perdirent pied et tombèrent dans l’eau jusqu’à l’encolure, fort heureusement.
Six ans s'écoulèrent avant que le peintre ne revit Léonne ; ce fut vraisemblablement l'occasion de cette nouvelle déclaration :
je sentis que j’allais vous revoir et quand cet étranger me dit votre nom, tout sursauta en moi, tout s’illumina comme une nuit étoilée et votre apparition me troubla tant, vous le savez, que mon coeur malgré la volonté, me monta aux lèvres.
Ah, je sais, je sais Léonne, que peu d’âmes peuvent planer aussi haut, que peu d’êtres peuvent aimer aussi magnifiquement et crois et suis convaincu que ce haut sens provient de ce que je suis le fruit du choc d’un splendide amour d’une adorable mère et d’une grand et vaillant coeur, Duc et Pair d’Angleterre.
Je vous aime de tout ce sang royal qui coule dans mes veines, je vous aime de tout le haut vol de mon âme, je vous aime de tout mon cerveau ; je vous aime plus que tout au monde : je vous aime comme l’Art que je porte car comme moi, vous rayonnez en moi, vous rayonnez en moi de tout le charme de ce qui est vous.
Je vous aime pour l’éternité. Certes, je suis très pauvre encore et si je n’étais preux, je serais gueux ! Mais ma destinée s’accomplira ; une chance, un peu de Soleil seulement sur mon chemin et je saurais réaliser le souffle de ma pensée : je saurais monter sur la montagne des dieux, et y cueillir la rose d’or dont j’ornerai vos cheveux.
Léonne Georges épousera cependant l'écrivain et peintre français Paul Reboux.
Transcription complète sur demande.
Encre noire, une enveloppe conservée. Déchirures sans manques aux plis d’envoi.