Description
Longue lettre autographe signée au comédien, écrivain, réalisateur et metteur en scène François Darbon (1915-1998). Darbon fut le metteur en scène de toute première des Séquestrés d'Altona au théâtre de la Renaissance, le 23 septembre 1959. Le pièce ne connue pas le succès escompté et fit naitre une brouille entre Sartre et Darbon. En mai 68, Sartre accepte une reprise de la pièce, cette missive périlleuse tente de une réconciliation avec Darbon tout en lui expliquant la mise en place d'un autre metteur en scène.
28 Mai 68
Mon cher Darbon
On me propose de reprendre les Séquestrés. J'accepte. Il me semble que, pour beaucoup de raisons, que nous connaissons tous les deux, le pièce n'a pas eu tout à fait sa chance. Je voudrais qu'elle soit montée tout à fait à neuf. Ledoux, excellent acteur, sait qu'il e été mal distribué (nous le savions aussi mais il n'y avait personne d'autre alors) ; il a déclaré qu'il ne reprendrait pas son rôle. Peut-être Claude Dauphin acceptera-t-il de jouer le rôle.
Reste notre affaire à nous deux. Je pense, nous l'avons dit un jour ensemble, qu'il faut que nous nous retrouvions, que nous travaillions ensemble, tranquillement, sans hypothèques. Mais je pense que vous serez d'accord avec moi, il est souhaitable que notre collaboration future ne commence pas avec la reprise de cette pièce maudite. Nous étions partis du mauvais pied ; trop de malentendus se sont accumulés, nos rapports, sur ce plan, ont perdu leur transparence. Si nous devions recommencer le travail nous perdrions un temps considérable à défaire les mauvaises habitudes que nous avons prises, à rompre ce silence que nous a séparés, à reprendre confiance aux acteurs, à réinventer un style, un rythme, une vitesse, tout alourdis que nous serions par le poids des choses faites. Ce serait une réussite ni pour vous ni pour moi. Pour ma part, je voudrais confier le travail à un bon directeur d'acteur - car la mise en scène proprement dite n'est ici qu'une mise en place, donner quelques xxx (du point de vue de l'auteur, strictement) et après m'être assuré que j'ai été compris, ne plus m'en mêler. C'est d'ailleurs non seulement mon intention mais une nécessité : le tournée Baret qui est à l'origine de toute cette affaire, commence ver le mois de Décembre ou le début de Janvier. Il s'agit de donner une série de représentations limitées (60 en principe -75 si cela marche) qui commencerait en Septembre et finirait en Novembre. Les répétitions ne peuvent donc avoir lieu qu'en Août : je ne serai pas là, ni même en Septembre pour la générale.
Pour vous, je ne sais ce que vous penserez : je voudrais que cette lettre ne vous heurte pas trop surtout que vous n'y voyez pas une défiance. Je serai toujours heureux, je vous le répète, de travailler avec vous, je connais la valeur de votre travail. Je sais que vous avez admirablement servi d'autres pièces. Au fond toute notre mésaventure a relevé de la psychologie, ce qui ne devrait jamais être, et nous en sommes tous les deux coupables : nous en avons convenu ensemble. Mais c'est justement pour cela et seulement pour cela, que je crois qu'il faut rompre avec le passé et effacer l'un et l'autre devant quelqu'un puisse regarder la pièce avec des yeux neufs. J'imagine que vous serez un peu déçu (tout de même on vous vole votre enfant) et un peu soulagé. Mais je souhaiterais que vous me disiez vous-même ce que vous pensez de tout cela et que nous prenions un verre ensemble un de ces matins (êtes-vous libre vers 12H30 ?) Si vous me téléphonez ) ODE 86-53, votre jour sera le mien. Je vous prie mon cher Darbon, de croire en mon amitié.
JP Sartre.