Description
EXCEPTIONNELLE CORRESPONDANCE AUTOGRAPHE, amoureuse et littéraire, adressée à l'écrivain et cinéaste Nelly Kaplan.
L'ensemble comprend 111 lettres et 1 télégramme, avec 4 feuillets autographes concernant l'oeuvre de Nelly Kaplan.
La correspondance couvre les dates 1954-1971.
Dès les premières années de leur correspondance, Soupault adresse à Nelly Kaplan des missives enflammées dans lesquelles il réitère sa confiance en ses capacités exceptionnelles et la certitude qu'elle s'apprête à "signer sa vie".
DEFENSE DE PLEURER SVP.
Cette lettre est écrite pour vous soyez lucide.
Nelly,
[...] Je n'ai jamais dans ma vie admiré que deux êtres que je n'ai pas connus : Lautréamont et Rimbaud.
J'ai compris, senti que vous étiez de la même qualité qu'eux. Soyez folle d'orgueil [souligné].
Bien sûr, je suis amoureux de vous, parce que vous êtes belle et merveilleusement jolie mais il y a autre chose. Quand je suis près de vous, je sais que la vie vaut la peine d'être vécue. Je vous en supplie ayez le courage de votre intelligence. Ne soyez pas faible vis à vis de vous-même. Vous n'avez le droit de pleurer que quand vous êtes dans mes bras.
Il faut, tous les deux ensemble que nous soyons les plus forts. Je vous assure que je comprends très bien votre lassitude du cercle infernal. Mais, Nelly, vous allez vivre, triompher. Vous allez être la plus belle, la plus jolie, la plus parfumée, la plus élégante, la plus intelligente. Ce qui me fait du mal c'est que vous ne voulez pas comprendre que vous êtes une poète et que vous souffrez de tout." (s. d.)
Ces références au "cercle infernal" parisien essaiment leur correspondance jusqu'en 1961. En effet, lorsque Nelly Kaplan rencontre Philippe Soupault en 1954, lors d'une exposition consacrée à Chagall, elle semble être la victime de "calomniateurs" et de "jaloux" ("ces gens hostiles, médiocres qui ne peuvent pas vous pardonner l'intelligence de vos yeux, votre grâce et votre beauté. [...] Je sais que tous ces salauds ne peuvent pas admettre que vous leur soyez supérieure" [12 décembre 1957]) contre lesquels Soupault l'encourage à lutter. En 1955, il écrit : "Je vous promets que je ne suis pas lâche. Il y a quelques années on m'a torturé à l'électricité. Je n'ai rien dit. Mais qu'on vous salisse, qu'on jette de la boue sur vous m'est intolérable. J'ai perdu ma lucidité et j'aurais dû écraser cet individu comme une sale punaise." (21 juin) Cette rage est versifiée dans son "poème pour Nelly", publié dans le premier numéro des Cahiers Philippe Soupault :
Il faut que je tue quelqu'un ce soir
ou quelques-uns
ou même un grand nombre en série[...]
On crache sur tout ce que j'aime
sur votre beauté sur la pureté
sur la vie que j'aime parce qu'elle vous ressemble.Chaque matin devant votre porte
un tas d'ordures est amassé
pour vous faire tomber
Plus spécifiquement, Soupault s'inquiète des machinations d'une "dame en rose" :
Je suis un idiot (du moins je l'espère) parce que j'ai de l'angoisse à cause de vous. La dame en rose est pour moi comme un cauchemar et une menace pour vous. Je ne supporte pas l'idée qu'elle peut vous atteindre. Retrospectivement j'ai eu des sueurs froides en pensant aux lettres oubliées, aux imprudences et à l'hystérie de cette folle meurtrière qui a osé vous toucher.
Je vous promets (et vous le savez, mon amie chérie) que ce n'est pas par basse jalousie, ni même par haine que je vous écris de vous méfier. Il y a un danger contre lequel je veux vous protéger l'homme de la [conj. "Rome"] semble attirer ces étranges maléfices (nous en avons terriblement souffert tous les deux cette année). Il faut donc que nous soyons plus que jamais sur nos gardes. (25 août 1955)
Et peut-être il y a-t-il en effet de quoi se faire du souci : Soupault est marié et Nelly Kaplan entretient en parallèle d'autres relations qui compliquent leur "amitié" :
Surtout ne vous attristez pas de ces lettres méchantes. Cet homme est fou. Cette jalousie est certes inquiétante et je crois très douloureuse pour lui. Mais croyez vous que notre amitié qu'il doit sentir parce qu'il est très intuitif, dont il doit deviner avec ses antennes ce qu'elle a de vrai, de sincère et de fort ne lui donne pas de motifs (pas de raisons puisqu'il ne doit pas en avoir) de se torturer ? (4 octobre 1954)
À cette période, Nelly Kaplan nourrit en effet une relation amoureuse avec le cinéaste Abel Gance, qu'elle documentera dans le double-ouvrage Et Pandore en avait deux ! - Mon cygne, mon signe. Source d'inquiétude pour Soupault, qui écrit : "Il me semble que, sentimentalement pour vous, ce qui compte le plus c'est l'admiration affectueuse (peut-être est-ce plus) que vous avez pour A. G." (s. d.). Ou encore, anxieux parce qu'Abel Gance ait cherché à obtenir son numéro de téléphone :
Je suppose donc que G. cherche à savoir
1°) si je suis à Paris (et non pas dans le midi)
2°) veut me voir pour me parler de vous.
Dans la seconde hypothèse je veux que vous m'envoyez d'urgence une lettre pour me dire ce dont je dois éviter de parler. (28 septembre 1955)
Nelly Kaplan fait la connaissance d'Abel Gance en 1954, et devient son assistante. Au cours de leur collaboration, Soupault lui adresse ses encouragements lors de tournages parfois éprouvants. De nombreuses lettres lui parviennent ainsi à Zagreb, où elle travaille à Austerlitz : "Je sens que cette expérience vous déçoit et j'en suis navré. Je me doutais bien que l'atmosphère et l'entourage de ce film n'aurait rien de réjouissant mais je ne m'imaginais pas que ce serait aussi cafardeux." (14 novembre 1959) Il lui écrira également à Rome lors de la préparation du film Cyrano et d'Artagnan : "Je sens que le "climat" de Rome ne s'est pas amélioré et j'ai peur que vous soyez débordée par ce flot de bêtise, de méchancetés et de contradictions." (21 juillet 1962)
À cette correspondance souvent torturée, Soupault mêle récits de la vie parisienne ( "J'ai parlé avec S. Guitry (ô honte) un vieillard abruti déjà, à Gabin, un ivrogne" 21 juin 1955), nouvelles de l'avancement de son travail et promesses d'envoyer à Nelly Kaplan, qui s'absente fréquemment pour soigner sa santé, des livres et des journaux. Mais ses crises de misanthropie le poussent parfois à de longs silences, et leur relation semble s'étioler à partir de 1965, année durant laquelle le poète, bouleversé par la mort de son amie Muriel Reed et ruiné, s'isole : "Ne m'en veuillez pas de ne pas vous appeler. Je traverse une nouvelle crise de colère, de dégoût et de rancune" ; "Je me débats entre le suicide et la folie" (13 janvier 1965) ; "Je vous en prie, Nelly, il faut que vous compreniez que je suis vraiment malade et que vivre seul est déjà difficile mais en face des autres c'est terrible." (13 avril 1965) En 1968, il lui écrit, dépité de ne pas parvenir à la joindre : "Belen est elle devenue si célèbre qu'on ne puisse pas l'atteindre... Pourtant..." (20 janvier 1968)
S'il serait difficile d'ignorer le caractère amoureux de la correspondance, Soupault s'intéresse de près à la carrière artistique de Kaplan. Il s'enthousiasme ainsi à la perspective du tournage d'Austerlitz, envisageant une collaboration future : "Quant à l'affaire Austerlitz, quelle joie si elle pouvait marcher. C'est l'apprentissage qui commencerait et finirait. Nous pourrons essayer de faire des films ensemble." (17 mai 1958)
En outre, il l'encourage dans la conception de son court-métrage sur Gustave Moreau, quoi que leur opinion diffère sur certains points :
Je suis très heureux de savoir que vous avez quelques chances de faire votre film sur G. M. C'est une voie que je voudrais que vous suiviez. [...] Quant à la mysognie [sic] de G. M. méfiez-vous... tous les hommes de cette belle époque, même les plus doués (!) (Maupassant, Flaubert, Huysmans) étaient mysogines [sic]. C'était une mode et une façon comme une autre d'avouer leur infériorité. J'aimerais parler de cette attitude avec vous, mais calmement [souligné] sans que vous (ou moi) vous mettiez en colère. (28 décembre 1960)
À la sortie du film, il se montre enthousiaste :
Je vous félicite. Votre film est excellent. Et révélateur. La lucidité, l'intelligence, la ruse, l'habileté, la technique triomphent. J'ai aussi compris, en admirant votre film, que vous étiez une guerrière et qu'il fallait que vous soyez une guerrière. Impitoyable. Au moins en apparence. Et pour vous, après tant d'années, l'apparence est nécessaire. (1er juin 1961)
Mais c'est surtout son oeuvre littéraire qui suscite l'admiration de Soupault :
Je suis persuadé que vous devez écrire. Vous êtes destinée à ce genre de réflexion, à cette expression. [...] Je suis très curieux de ce que vous allez écrire désormais. Je préfère encore la Reine [des Sabbats] à la géométrie [dans les spasmes]. Plus étrange et plus percutant encore. [...] J'aime quand vous écrivez et ce que vous écrivez. Mais vous savez que vous n'écrivez pas n'importe quoi. Et c'est aussi pour cette raison que vous ne vous sentez pas communicable. C'est aussi pourquoi Arthur Rimbaud ne se sentait pas communicable. On le traitait de voyou, vous de panthère. (3 novembre 1959)
Il lui transmet ainsi des nouvelles du succès de La Géométrie dans les spasmes, publié en 1959 sous le pseudonyme de Belen : "Vu Losfeld ce matin. Il m'a dit mais devant témoins que la géométrie marchait très fort (sic) depuis la prière d'insérer (!!! - L. sait flatter plus que payer). Il compte vous demander des textes pour une collection qu'il veut publier." (6 juin 1959) En 1960, il complimente un nouveau recueil : "J'aime Délivrez nous [du mâle] et je le regarde, ce livre, comme un fruit et une pierre précieuse (rubis et saphir)." (24 juin 1960)
Sont ainsi joints à la correspondance 4 feuillets autographes, lettres-essais portant sur l'oeuvre écrit de Kaplan : Le Sunlight d'Austerlitz (1960), journal du bord du tournage d'Austerlitz (2 brouillons), un article sur l'ensemble de ses recueils poétiques intitulé "Qui est Belen ?" ( "Je n'hésitais pas à écrire ce que je pensais, c'est à dire, qu'un poète masqué (je suis sûr que Belen est un pseudonyme) s'avançait, toutes griffes dehors, et qu'il nous offrait un nouvel art d'aimer, de vivre, de souffrir."), et enfin un article sur La Géométrie dans les Spasmes :
Pour moi, 'la Géométrie des spasmes', est plus proche des 'Illuminations' de Rimbaud (et je sais ce que parler veut dire) que de toutes les élucubrations des pâles disciples de Jules Verne qui n'ont jamais réussi à son vertige mais ont accepté sa conception du monde bourgeois.
Les deux artistes ne collaboreront au final jamais à une oeuvre. Soupault signera cependant la préface du Réservoir des sens, recueil de nouvelles de "Belen" paru en 1966, et dédiera à celle qu'il appelle parfois sa "petite sirène" le livret de l'opéra La petite sirène, composé par Germaine Tailleferre et crée le 30 septembre 1960 à l'ORTF (Radio-France) par l'Orchestre lyrique dirigé par Michel Le Conte.
Variante sur "ma petite sirène" dans la correspondance de Soupault, "ma petite Ondine", qui elle aussi apparaîtra --plus confidentiellement-- sous sa plume. Nelly Kaplan écrit en effet dans le témoignage qui ouvre le Cahiers Soupault I, "Je vous salue Philippe, plein de révolte" :
"Dans un de ses textes (que je crois inédit), La Petite Ondine, un "opéra fabuleux", son héroïne chante : «Je n'ai peur que de devenir ce que vous êtes et que vous deviendrez.»
Avis aux amateurs...
Puis, dans une autre page du livret, la Petite Ondine invective: « Vous voulez, que je reste près de vous pour pouvoir m'aimer à votre façon (...) Et moi je veux que vous m'aimiez à ma façon, pour que je sois libre de ne pas être esclave de votre amour. Aimez-moi, pour que je sois libre.
Le chœur: Nous t'aimons.
La Petite Ondine: Mais m'aimez-vous assez, pour que je ne vous aime pas?»
EXCEPTIONNEL ENSEMBLE.
Quelques rares taches, quelques feuillets brunis.