Description
L'École des Ménages, tragédie bourgeoise en 5 actes et en prose.
UNE VERSION INEDITE COPIÉE SUR LE MANUSCRIT AUJOURD'HUI DISPARU.
La pièce se présente sous un volume in-quarto, entièrement calligraphié par un copiste, établi à la demande de l'écrivain Ludovic Halévy (1834-1908) sur le manuscrit autographe d'Honoré de Balzac. Ce manuscrit a aujourd'hui disparu.
Une note autographe signée de Ludovic Halévy sur la page de titre :
"H. Balzac -
Inédit .
J'ai fait prendre copie de cette pièce de Balzac sur le manuscrit qui est entre les mains de Calmann Lévy.
Jan. 1887.
Ludovic Halévy"
Le manuscrit fut rédigé et remanié par Balzac entre 1837 et 1839 avec le concours de Charles Lassailly et probablement de Laure Surville. Balzac fit ensuite tirer quelques épreuves, qu'il utilisa, comme à son habitude, pour corriger et réviser la pièce. Le manuscrit originel ne figurait pas dans les archives de l'auteur achetées par le collectionneur Lovenjoul après la mort d'Évelyne Hańska. Selon Pierre Descaves, qui cite le directeur de l'Odéon Charles de Rounat, ce manuscrit fut déposé en 1868 au théâtre de l'Odéon sans explication "comme jadis on déposait, au tour de la rue d'Enfer, les enfants trouvés".
Enfin, la note d'Halevy qui figure sur notre copie, indique que le manuscrit était entre les mains de Calmman Lévy en 1887.
Depuis cette date, on ne trouve aucune trace du manuscrit. L'ensemble des recherches et des éditions reproduit le texte des épreuves corrigées passées des archives de l'auteur, à la collection de Lovenjoul, puis léguées à l'Institut de France et conservé aujourd'hui sous les cotes Ms Lov. A 65-65 ter et G 1040-1042.
Lovenjoul cite les épreuves corrigées comme l'unique source de L'École des ménages, sans jamais mentionner le manuscrit.
Notre copie faite sur le manuscrit montre une version antérieure à celle connue jusqu'à ce jour, elle est donc le seul témoin de la genèse de cette pièce.
L'histoire de L'École des ménages est pleine de rebondissement, tant dans sa genèse, son abandon que sa redécouverte.
UNE PIÈCE REFUSÉE ET PERDUE
Commencée en février 1837, sous le titre Première Demoiselle ou la Demoiselle de magasin, Balzac en écrivit une première version dont il soumit par lettre le plan à madame Hanska. Celle-ci découragea l'auteur qui décida de suspendre le travail qui reprit qu'en mars 1838 après avoir eu l'approbation de George Sand et de madame de Surville. La pièce prit son titre définitif L'École des ménages, et devait être jouée au théâtre de la Renaissance après le Ruy Blas d'Hugo . Les négociations de Balzac avec Joly, directeur du théâtre, poussèrent l'auteur à retravailler sa pièce avec l'aide de Charles Lassailly. Gérard de Nerval, qui faisait au feuilleton de La Presse l'intérim de Théophile Gautier, retraça cet épisode après la mort de Balzac dans le numéro du 7 octobre 1850.
Balzac organisa deux lectures, la première dans le salon de madame Couturier de Saint-Clair, la seconde chez le marquis de Custine. Malgré le grand succès des lectures, la pièce fut finalement déprogrammée au profit de l'Alchimiste d'Alexandre Dumas, joué pour la première fois le 10 avril 1839. Balzac se découragea et renonça sa pièce ; remisée au fond d'un carton, elle ne fut retrouvée que 28 ans après sa mort.
LA REDÉCOUVERTE
L'histoire de cette redécouverte décrite par le vicomte de Spielberch de Lovenjoul, qui fut probablement le plus grand collectionneur balzacien, est relatée en détail dans le chapitre Les aventures de l'École des ménages publié en 1897 dans l'ouvrage Autour d'Honoré de Balzac.
Une mince plaquette imprimée, corrigée par l'auteur fut remarquée pour la première fois le 15 mars 1878 par Lovenjoul sur le catalogue de la librairie Balleu à Paris. N'ayant pu l'acheter à temps, il parvint à l'échanger contre des lettres et oeuvres inédites de Charles Baudelaire. Il découvrit alors une pièce inédite, imprimée par la maison Everat en 1839 à seulement quelques exemplaires, mais dont Lovenjoul possédait l'unique rescapé. En 1905, Lovenjoul légua l'ensemble de sa collection, qui comprenait notamment la quasi-totalité des manuscrits et épreuves corrigées de Balzac, à l'Institut de France. En 1907, Louis Carteret établit l'édition originale en volume reprenant le texte de la plaquette découverte par Lovenjoul dont une lettre sert d'introduction. À la lecture de l'ouvrage, Jules Claretie en fera une pièce prénaturaliste : "[l'École des ménages] n'est après tout que l'ancêtre du théâtre libre, que le romancier, en veine de drames, avait devancé une étude spéciale comme celle que Zola intitulait Au Bonheur des Dames."
La pièce fut représentée pour la première fois par André Antoine, fondateur du théâtre libre, le 12 mars 1910 dans la salle République du Théâtre de l'Odéon. " Il n'y eut que sept représentations, satisfaisantes quant aux recettes […]. Les réactions du public étaient favorables. Celle de la presse et de la critique dépassèrent toute espérance. Balzac avait attendu soixante-et-onze ans pour être, enfin joué. Il gagnait largement la partie." (Balzac, Dramatiste , Pierre Descaves)
LA VERSION ORIGINELLE INÉDITE.
Notre copie, établie en 1887 sur le manuscrit original aujourd'hui disparu, montre une version très différente du texte imprimé depuis 1907.
Une comparaison attentive des deux textes nous a permis de relever plus d'une centaine de différences, allant de la simple suppression / ajout de mots ou de courtes phrases dans certaines répliques, à la présence de nouvelles répliques et surtout de deux nouvelles scènes, d'importantes tirades, de ressorts dramatiques différents et d'une phrase finale sous forme de morale.
En effet, l'acte IV compte 14 scènes dans la version imprimée et 16 dans notre copie. Les scènes 5 et 6 ont disparu de la version imprimée :
- La scène 5 originelle comporte un monologue du caissier Roblot particulièrement comique ;
- la scène 6 permet à Adrienne de donner une lettre à Roblot qui fera basculer la pièce dans la scène suivante. Dans la version imprimée, cette lettre n'existe pas, c'est une autre lettre donnée au début de l'acte II qui sert de ressort dramatique (cette lettre est présente dans les deux versions).
- Les contenus des lettres lues par Mr Gérard sont aussi très différents: Roblot et Adrienne sauvent la maison avec leurs économies dans notre copie alors que seule Adrienne donne son argent dans la version imprimée.
Les différences montrent aussi leurs importances dans la scène finale de l'acte V, dans laquelle Gérard et Adrienne devenus fous, ne se reconnaissent plus. L'amour persistant entre les deux personnages apparait davantage dans deux tirades présentent uniquement dans notre copie. La scène commence lorsque le juge vient les questionner avant de prononcer leur "interdiction" [tutelle] :
- Après l'insistance du Juge, Gérard dans une longue tirade cite une lettre d'amour d'Adrienne : "[…] j'ai bien senti que ma raison revenait, quand j'ai pensé à mon amour… ne vous laissez pas aller au désespoir, ô mon bienfaiteur chéri ! Je vis bien moi que tout le monde accable… je vis pour vous aimer et vous consacrer mon existence , en restant toujours pure…"
- Adrienne répond aussi dans un long monologue en citant une lettre de Gérard : "[…] Demain, je serai près de toi, et nous fuirons ensemble…qu'aucun vain scrupule ne t'arrête ! pourquoi tant de méfiance avec tant de passion !… Ah tu le sais si, en expirant à tes pieds de désir et d'amour, j'ai jamais abusé… Le délire était à son comble, tu n'eusses point résisté alors… mais ta confiance était ton préservatif, et ton amant, trop heureux d'être aimé, n'eut mérité que ta haine, s'il eut profité d'une surprise…"
- Dans la version imprimée le Juge déclare : "Je ne prolongerai pas cette scène pénible pour vous… le tribunal prononcera l'interdiction" et ces deux tirades ont été supprimées.
Enfin, la pièce se termine dans la version imprimée par cette réplique de Mme Gérard :
- "Nos malheurs sont irréparables; vous resterez ici, vous, pour que votre bonheur ne soit pas affligé de ce spectacle. Anna et moi nous les emmènerons à la campagne. S'il y avait une crise favorable, nous serions loin du monde… Ah ! nous avons tous fait de grandes fautes !"
Dans le manuscrit Balzac avait ajouté une morale qui a disparu par la suite:
- […] Ah ! nous avons tous fait de grandes fautes, et je vois trop tard que si l'harmonie des ménages est souvent troublée par les hommes, elle peut toujours être maintenue ou rétablie par le dévouement et l'indulgence des femmes."
Cette version originelle copiée sur le manuscrit (aujourd'hui perdu) de la collection Calmann Lévy semble être restée inconnue jusqu'à ce jour.
Les versions inédites des oeuvres de Balzac sont de toute rareté.
On joint un exemplaire de l'édition original en volume, établie comme évoqué sur les épreuves corrigées :
L'École des ménages
Paris, Carteret, 1907. Grand in-8, 180 x 270 mm, broché, 239 pp. étui demi-maroquin caramel à long grain.
ÉDITION ORIGINALE.
UN DES 75 PREMIERS EXEMPLAIRE SUR JAPON.
Celui-ci nominatif, offert à Jules Claretie, comportant un envoi autographe signé de l'éditeur:
"[exemplaire offert à M]onsieur Jules Claretie
avec tous les remerciements de l'éditeur
L. Carteret".
Provenance : Ludovic Halévy, note autographe signée, ex-libris gravé contre-collé.
Référence :
Autour de Honoré de Balzac, vicomte de Spielberch de Lovenjoul, 1897.
Exposition Balzac, n°324, Pierre Béres, 1949.
Les travaux et les jours d'Honoré de Balzac, page 169 et 174, Stéphane Vachon, 1992.
Balzac: Dramatiste, Pierre Descaves
Balzac, l’éternelle genèse, Jacques Neefs éd., 2015
Reliure de l’époque à la Bradel, demi-percaline bleue, pièce de titre havane, titre doré.